Liber65 in French

LIBER CORDIS CINCTI SERPENTE
vel LXV
sub FIGURA inda

 

1. Je suis le Cœur ; et le Serpent est lové

Autour du centre invisible de l’esprit.

Redresse-toi, Ô mon serpent ! C’est l’heure

De la fleur chaperonnée, sainte et ineffable !

Redresse-toi, Ô mon serpent, dans l’éclat de la floraison

Sur la dépouille d’Osiris qui flotte dedans la tombe !

Ô cœur de ma mère, de ma sœur, cœur mien,

Tu es livré au Nil, à la terreur Typhon !

Ah moi ! mais la gloire de l’orage dévorant

T’enveloppe et t’enclôt dans le délire de la forme.

Sois sage, Ô mon âme ! que le charme se puisse dissoudre

Comme les baguettes sont dressées, et que tournent les éons.

Vois ! comme Tu es joyeux en ma beauté,

Ô Serpent qui la couronne de mon cœur caresse !

Vois ! nous sommes un, et la tourmente des années

S’abîme dans le crépuscule, et le Scarabée fait son apparition.

Ô Scarabée ! le bourdonnement de Ta chagrine mélopée,

Qu’à jamais il soit extase de cette gorge frémissante !

J’attends le réveil ! L’appel d’en haut,

L’appel du Seigneur Adonaï, du Seigneur Adonaï !

 

2. Adonaï parla à V.V.V.V.V. et lui dit : Pour toujours y aura-t-il division dans la parole.

 

3. Car nombreuses les couleurs mais unique la lumière.

 

4. Et donc tu écris ce qui est de mère d’émeraude, et de lapis-lazuli, et de turquoise, et d’alexandrite.

 

5. Un autre couche par écrit les paroles de topaze, et d’améthyste foncée, et de saphir gris, et de saphir foncé comme teinté de sang.

 

6. Et pour cela serez-vous tourmentés.

 

7. Ne vous satisfaites pas de l’image.

 

8. Moi qui suis Image d’une Image vous le dis.

 

9. Ne discourez point sur l’image, disant Au-delà ! Au-delà !

                L’on monte à la Couronne en passant par la lune et par le Soleil, et par la flèche, et par la Fondation, et par la sombre demeure des étoiles depuis la terre noire.

 

10. Vous ne pouvez autrement atteindre le Point Uni.

 

11. De même, le cordonnier n’a pas à bavarder au sujet de ce qui est d’ordre Royal. Ô cordonnier ! répare-moi cette chaussure, que je sois à même de marcher ! Ô roi ! si je suis ton fils, conversons au sujet de l’Ambassade avec ton Frère le Roi.

 

12. Le silence s’ensuivit. Le discours en avait momentanément fini avec nous.

                Il est une lumière si vive qu’elle n’est point perçue comme telle.

 

13. L’aconit est moins tranchant que la lame ; il transperce néanmoins le corps avec plus de finesse.

 

14. De même que de funestes baisers corrompent le sang, ainsi mes paroles dévorent-elles l’esprit de l’homme.

 

15. Je respire, et il y a infinie maladie dedans l’esprit.

 

16. Semblable à un acide rongeant l’acier, à un cancer qui totalement corrompt le corps ; voilà ce que je suis à l’esprit de l’homme.

 

17. Je n’aurai de repos que je ne l’aie entièrement dissous.

 

18. Idem en ce qui concerne la lumière qui est absorbée. L’on absorbe un peu, et l’on est dit blanc et étincelant ; l’on absorbe tout et l’on est dit noir.

 

19. Pour cela es-tu noir, Ô mon aimé.

 

20. Ô mon superbe, je t’ai comparé à un esclave nubien, noir de jais, un garçon au regard mélancolique.

 

21. Ô l’immonde ! le chien ! s’exclament-ils contre toi.

                Car tu es mon bien-aimé.

 

22. Heureux ceux qui te louent ; car ils te voient avec Mes yeux.

 

23. Ils ne te loueront point à haute voix ; mais durant la veillée nocturne l’un t’approchera furtivement, t’étreignant de la secrète étreinte ; un autre te couronnera en secret de violettes ; un troisième fera preuve d’une grande audace et pressera de folles lèvres contre les tiennes.

 

24. Oui ! la nuit recouvrira tout, la nuit recouvrira tout.

 

25. Tu Me recherchais depuis longtemps ; tu allais si vite en avant que je ne pus te suivre. 

                Ô toi mon fol amour ! de quelle amertume couronnas-tu par là même tes jours.

 

26. Je suis avec toi désormais ; ton être jamais ne quitterai.

 

27. Car je suis tortueuse douceur autour de toi enlacée, cœur d’or.

 

28. Ma tête est ornée de douze étoiles ; Mon corps est aussi blanc que le lait des étoiles ; il brille du bleu de l’abîme des étoiles, invisibles.

 

29. J’ai trouvé ce qui ne pouvait l’être ; j’ai trouvé un vase de vif-argent.

 

30. Tu instruiras ton serviteur en ses voies, tu t’entretiendras fréquemment avec lui.

 

31. (Le scribe regarda vers le haut et s’écria) Amen ! Tu l’as dit, Seigneur Dieu !

 

32. En outre, Adonaï parla à V.V.V.V.V. et lui dit :

 

33. Prenons grand plaisir parmi la multitude des hommes !

                Façonnons-nous une nef de nacre à partir d’eux, que nous puissions voguer sur la rivière d’Amrit !

 

34. Vois-tu ce pétale d’amarante là-bas, que le vent a chassé des fins et parfumés sourcils d’Hâthor ?

 

35. (Le Magister le vit et se réjouit de sa beauté.) Ecoute !

 

36. (D’un certain monde survint une infinie lamentation.)

                Le pétale qui tombe apparaît aux petits enfants comme une lame venant engloutir leur continent.

 

37. C’est pourquoi ils font des reproches à ton serviteur, disant : Qui t’a désigné pour nous sauver ?

 

38. Il en sera grandement affligé.

 

39. Il n’en est pas un seul qui comprenne que toi et moi façonnons une nef de nacre. Nous descendrons la rivière d’Amrit jusqu’aux sylves d’ifs de Yama, où nous pourrons nous réjouir à l’extrême.

 

40. La joie des hommes sera notre lueur d’argent, leur affliction notre lueur bleue - réunies dans la nacre.

 

41. (Le scribe s’en indigna. Il dit :

                Ô Adonaï, mon maître, j’ai souffert la plume et l’écritoire sans être rémunéré, afin de pouvoir explorer cette rivière d’Amrit, et d’y naviguer comme l’un des tiens. Voici ce que je réclame pour honoraires : prendre part à l’écho de tes baisers.)

 

42. (Et ce lui fut accordé sur-le-champ.)

 

43. (Sauf que non, il n’en fut pas satisfait. Il luttait, en s’abaissant infiniment à la honte. Puis, une voix : 

 

44. Toujours luttes-tu ; même en ta reddition luttes-tu pour te rendre – et vois ! tu ne te rends point.

 

45. Va dans les endroits les plus reculés et assujettis toutes choses.

 

46. Assujettis ta peur et ta répugnance. Puis – rends-toi !

 

47. Il était une jeune fille qui errait parmi les blés, et soupirait ; puis vint une nouvelle naissance, un narcisse, et par là même oublia-t-elle ses soupirs comme sa solitude.

 

48. A l’instant même, Hadès fondit sur elle avec fougue et la ravit au loin.

 

49. (Le scribe connut alors le narcisse en son cœur ; mais comme il ne vint pas à ses lèvres, il en fut honteux et cessa de parler.)

 

50. Néanmoins, Adonaï s’adressa de nouveau à V.V.V.V.V. et lui dit :

                La terre est mûre pour les vendanges ; mangeons de ses raisins et enivrons-nous en.

 

51. Et V.V.V.V.V. répondit et déclara : Ô mon seigneur, ma colombe, mon excellent, comme les enfants des hommes percevront-ils ce discours ?

 

52. Et Il lui répondit : Non comme tu ne peux le voir.

                Il est certain que chaque lettre de ce message codé possède quelque valeur ; mais qui fixera la valeur ? Car toujours elle varie, conformément à la subtilité de Lui qui la créa.

 

53. Et Il Lui répondit : N’ai-je point la clé ?

                Je suis revêtu du corps de chair ; je suis un avec l’Eternel et Tout-Puissant Dieu.

 

54. Puis Adonaï dit : Tu as la Tête du Faucon, et ton Phallus est le Phallus d’Asar. Tu connais le blanc, et tu connais le noir, et tu sais qu’ils sont un. Mais pourquoi recherches-tu la connaissance de leur équivalence ?

 

55. Et il dit : Afin que mon Œuvre soit juste.

 

56. Et Adonaï dit : Le brun et vigoureux moissonneur faucha son andain et se réjouit. L’homme sage dénombra ses muscles, médita, ne comprit point et devint triste.

                Fauche-toi, et réjouis-t’en !

 

57. L’Adepte en devint heureux, et il leva son bras.

                Vois ! un séisme, et la peste, et terreur régnant sur terre !

                Un ravalement de ceux-là qui se rassasient en haut lieu ; une famine sur la multitude !

 

58. Et le raisin tombait mûr et savoureux dans sa bouche.

 

59. La pourpre de ta bouche est maculée, Ô éclatant, de la blanche gloire des lèvres d’Adonaï.

 

60. L’écume du raisin est tel l’orage dessus la mer ; les nefs tremblent et vibrent ; le capitaine est pris de panique.

 

61. C’est là ton ivresse, Ô saint, et les vents emportent rapidement l’âme du scribe jusqu’au havre de bonheur.

 

62. Ô Seigneur Dieu ! que le havre soit détruit par la fureur de l’orage ! Que l’écume du raisin imprègne mon âme de Ta lumière !

 

63. Bacchus prit de l’âge, devint Silène ; Pan fut toujours Pan, à tout jamais et toujours plus tout au long des éons.

 

64. Enivre le plus profond, Ô mon amant, non le plus écarté !

 

65. Ainsi était-ce - toujours identique ! J’ai visé le bâton écorcé de mon Dieu, et l’ai-je atteint ;

oui, l’ai-je atteint.

 

 

***

 

 

II

 

 

1. Je rentrai dans la montagne de lapis-lazuli, tel un vert faucon entre les piliers de turquoise, là où il siège sur son trône à l’Est.

 

2. Ainsi parvins-je au Duat, la demeure étoilée, et entendis-je des voix qui hurlaient.

 

3. Ô Toi qui sièges sur la Terre ! (ainsi me parla un Etre Voilé) tu n’es pas plus important que ta mère ! Toi, infinitésimal atome de poussière !

                Tu es le Seigneur de Gloire, et le chien impur.

 

4. M’abattant, ailes inclinées, je parvins aux demeures obscurément splendides. Et là, dans cet abîme informe, devins-je un participant aux Mystères Opposés.

 

5. Je souffris la mortelle étreinte du Serpent et du Bouc ; je rendis infernal hommage à l’opprobre de Khem.

 

6. En cela résidait telle vertu, l’Un devenant le tout.

 

7. J’eus en outre la vision d’une rivière. Dessus était une frêle embarcation ; et dedans, sous ses voiles dorées, se trouvait une femme dorée, une statue d’Asi ouvrée dans l’or le plus fin. Et la rivière était de sang, et l’embarcation d’acier luisant. Alors l’aimai-je et, détachant ma ceinture, me jetai-je dans les flots.

 

8. Je me hissai à bord de la frêle embarcation, et durant de nombreux jours et de nombreuses nuits l’aimai-je, brûlant de l’encens magnifique devant elle.

 

9. Oui ! je lui octroyai de la fleur de ma jeunesse.

 

10. Mais elle ne s’en émut point ; mes baisers eurent pour seul effet de la profaner et sous mes yeux devint-elle noirceur.

 

11. Néanmoins l’adorai-je, et lui octroyai-je de la fleur de ma jeunesse.

 

12. Or il advint que par là même elle dépérisse, et se corrompît sous mes yeux. Je manquai de me jeter à l’eau.

 

13. Puis, au terme convenu, son corps était plus blanc que le lait des étoiles, et ses lèvres rouges et chaudes comme le soleil couchant, et sa vie d’une blanche ardeur telle celle du soleil en son centre.

 

14. Elle surgit alors de l’abîme des Siècles du Sommeil, et son corps m’étreignit. Je me fondis totalement en sa beauté et en fus heureux.

 

15. Et la rivière devint la rivière d’Amrit, et la frêle embarcation était char de la chair, et ses voiles le sang du cœur qui me porte, qui me porte.

 

16. Ô femme-serpent des étoiles ! Je T’ai, moi-même, façonnée à partir d’une pâle image d’or fin.

 

17. Aussi le Saint me rencontra-t-Il par hasard, et je vis un cygne blanc flottant dans l’azur.

 

18. Je pris place entre ses ailes, et les éons s’enfuirent au loin.

 

19. Puis le cygne s’envola et plongea et plana dans les airs, mais nous ne parvînmes nulle part.

 

20. Un petit garçon insensé qui chevauchait en ma compagnie s’adressa au cygne, et lui dit :

 

21. Qui es-tu, toi qui flottes et voles et plonges et planes dans le vide ? Vois, de nombreux éons se sont écoulés ; d’où viens-tu ? Où vas-tu ?

 

22. Je le réprimandai en riant, par ces mots : Pas d’origine ! Pas de destination !

 

23. Le cygne demeurant muet, il rétorqua : Alors, s’il n’est point de but, pourquoi cet éternel voyage ?

 

24. Et je posai ma tête contre la Tête du Cygne, et dis-je en riant : N’y a-t-il point ineffable joie en ce vol sans objet ? N’y a-t-il point lassitude et impatience pour qui veut atteindre quelque but ?

 

25. Et le cygne était toujours silencieux. Ah ! mais nous flottions dans l’Abîme infini. Joie ! Joie !

Cygne blanc, puisses-tu toujours me porter entre tes ailes !

 

26. Ô silence ! Ô ravissement ! Ô fin des choses visibles et invisibles ! Tout cela est mien, qui ne suis Point.

 

27. Radieuse Divinité ! Laisse-moi Te façonner une image de gemmes et d’or ! afin que le peuple la puisse jeter à terre et la fouler aux pieds ! Afin que Ta gloire puisse être par eux perçue.

 

28. Et l’on ne dira point sur les marchés que moi qui devais venir suis venu ; mais Ton arrivée constituera l’unique nouvelle.

 

29. Tu Te manifesteras dans le non-manifeste ; les hommes te rencontreront dans les lieux secrets, et Tu les vaincras.

 

30. Je vis un garçon pâle et triste gisant sur le marbre à la lumière du soleil, et qui versait des larmes. A son côté se trouvait le luth oublié. Ah ! mais il versait des larmes.

 

31. Puis survint de l’abîme de gloire un aigle qui le couvrit de son ombre. Si noire l’ombre qu’il n’était plus visible.

 

32. Mais j’entendis le luth vivement discourir au travers de la calme atmosphère azurée.

 

33. Ah ! messager du Bien-Aimé, que Ton ombre me recouvre !

 

34. Ton nom est La Mort, c’est possible, ou La Honte, ou L’Amour.

                Comme tu m’apportes des nouvelles du Bien-Aimé, je ne te demanderai point ton nom.

 

35. Où se trouve le Maître désormais ? s’écrient les petits garçons insensés.

                Il est mort ! Il est couvert de honte ! Il est marié ! et leur raillerie fera le tour du monde.

 

36. Mais le Maître aura eu sa récompense.

                Le rire des moqueurs sera une ondulation de la chevelure du Bien-Aimé.

 

37. Vois ! l’Abîme de Grande Profondeur. Dedans est un grandiose dauphin, cinglant ses flancs de la violence des vagues.

 

38. Il y avait également un ménestrel d’or, jouant d’infinies mélodies.

 

39. Et le dauphin s’en délecta, et quitta son corps pour devenir un oiseau.

 

40. Le ménestrel, lui, abandonna sa harpe, et joua d’infinies mélodies à la flûte de Pan.

 

41. Puis l’oiseau eut un grand désir de cette béatitude et, abandonnant ses ailes, il devint faune de la forêt.

 

42. Le ménestrel se défit alors de sa flûte de Pan et c’est à l’aide de l’humaine voix qu’il chanta ses infinies mélodies.

 

43. Alors le faune fut ravi, et le suivit au loin ; pour finir le ménestrel se tut et le faune devint Pan au sein de la forêt originelle de l’Eternité.

 

44. Tu ne peux charmer le dauphin par le silence, Ô mon prophète !

 

45. Puis l’adepte fut ravi dans la félicité, et au-delà de la félicité, et il excéda l’excès de l’excès.

 

46. Aussi son corps trembla et chancela sous le poids de cette félicité et de cet excès et de cet indicible absolu.

 

47. Ils s’écrièrent Il est ivre ou Il est fou ou Il est la proie d’une grande souffrance ou Il est sur le point de mourir ; et il ne les entendit point.

 

48. Ô mon Seigneur, mon bien-aimé ! Comment rédigerais-je les chants, dès lors que le seul souvenir de l’ombre de ta gloire est une chose par-delà toute musique de paroles comme de silence ?

 

49. Vois ! Je suis un homme. Même un petit enfant ne pourrait Te souffrir. Et voilà !

 

50. J’étais seul dans un grand parc, et près d’un certain monticule se trouvait un cercle de verdure sombre et vernissé où jouaient des êtres tout de vert vêtus, vraiment splendides.

 

51. En leur jeu parvins-je jusqu’à la contrée du Sommeil Féerique.

                Toutes mes pensées furent revêtues de vert ; fort splendides étaient-elles.

 

52. Ils dansèrent et chantèrent toute la nuit ; mais Tu es le matin, Ô mon aimé, mon serpent qui T’enroule autour de ce cœur.

 

53. Je suis le cœur, et Toi le serpent. Resserre plus encore Tes anneaux autour de moi, de sorte que ni lumière ni béatitude ne puissent pénétrer.

 

54. Exprime de moi le sang, tel un raisin sur la langue d’une blanche fille dorienne se languissant au clair de lune au côté de son amant.

 

55. Qu’alors s’éveille la Fin. Tu as dormi longtemps, Ô grand Dieu Terminus ! De longs siècles as-tu attendu la fin de la cité et de ses voies.

                Réveille-Toi ! n’attends plus !

 

56. Excepté, Seigneur ! que je suis venu à Toi. C’est moi qui enfin attends.

 

57. Le prophète se récria contre la montagne ; viens jusqu’ici, que je puisse te parler !

 

58. La montagne ne bougea point. Et donc le prophète vint à la montagne, et lui parla. Mais les pieds du prophète étaient las, et la montagne n’entendit point sa voix.

 

59. Mais j’ai appelé vers Toi, et j’ai voyagé vers Toi, et cela ne me fut d’aucune aide.

 

60. J’attendis patiemment, et Tu étais à mes côtés dès le commencement.

 

61. Cela sais-je désormais, Ô mon bien-aimé, et nous sommes confortablement allongés au milieu des vignes.

 

62. Mais ceux-là tes prophètes ; ils doivent pousser de hauts cris et se flageller ; ils doivent traverser des déserts inviolés et d’insondables océans ; car T’attendre est la fin, non le début.

 

63. Que les ténèbres recouvrent l’écrit ! Que le scribe déroge à ses voies.

 

64. Mais toi et moi sommes confortablement allongés au milieu des vignes ; qu’est-il ?

 

65. Ô Toi le Bien-Aimé ! n’y a-t-il aucune fin ? Si, il est une fin. Réveille-Toi ! surgis ! ceins tes membres, Ô toi messager ; porte la Parole jusqu’aux puissantes cités, oui, jusqu’aux puissantes cités.

 

 

***

 

 

III

 

 

 

 

1. En vérité et Amen ! Je traversai la profonde mer, et passai les rivières d’eau courante qui y abondent, et je parvins à la Terre de Nul Désir.

 

2. S’y trouvait une blanche licorne portant collier d’argent, sur lequel était gravé l’aphorisme Linea viridis gyrat universa.

 

3. Puis la parole d’Adonaï me vint par la bouche du Magister mien, disant : Ô cœur ceint des anneaux de l’antique serpent, élève-toi jusqu’à la montagne de l’initiation !

 

4. Mais je me souvins. Oui, Than, oui, Théli, oui, Lilith ! ces trois-là m’entouraient depuis longtemps. Car ils sont un.

 

5. Splendide étais-tu, Ô Lilith, toi femme-serpent !

 

6. Tu étais souple et d’une saveur exquise, et ton parfum était de musc mêlé d’ambre gris.

 

7. Tu enserrais fermement le cœur de tes anneaux, et c’était comme la joie de tout le printemps.

 

8. Or j’aperçus en toi une certaine souillure, et même d’icelle me réjouis-je.

 

9. J’aperçus en toi la souillure de ton père le singe, de ton grand-père le Ver Aveugle du Limon.

 

10. Je fixai le Cristal de l’Avenir, et je vis l’horreur de la Fin tienne.

 

11. En outre, je détruisis le temps Passé et le temps à Venir – n’avais-je point le pouvoir du Sablier ?

 

12. Mais à l’instant même contemplai-je la corruption.

 

13. Alors dis-je : Ô mon bien-aimé, Ô Seigneur Adonaï, je t’implore de relâcher les anneaux du serpent !

 

14. Mais elle était fermement fixée à moi, de sorte que ma Force demeurait bloquée à sa source.

 

15. Aussi priai-je le Dieu Eléphant, le Seigneur des Origines, lesquels brisèrent l’obstacle.

 

16. Ces dieux vinrent de suite à mon aide. Je les contemplai ; je me joignis à eux ; j’étais perdu en leur immensité.

 

17. Puis me vis-je circonscrit par l’Infini Cercle d’Emeraude qui enclôt l’Univers.

 

18. Ô Serpent d’Emeraude, Tu ne connais ni temps Passé ni temps A Venir. En vérité, Tu n’es pas.

 

19. Tu es exquis par-delà tout goût et tout toucher, Tu es à-ne-pas-contempler pour la gloire, Ta voix est par-delà le Discours et le Silence et le Discours qui s’y trouve, et Ton parfum est de pur ambre gris, sur lequel ne l’emporte point le plus fin de l’or fin.

 

20. Et aussi Tes anneaux sont d’une étendue infinie ; le Cœur que Tu ceins est un Cœur Universel.

 

21. Je, et Moi, et Mien nous trouvions assis avec des luths sur la place du marché de la grande cité, la cité de violettes et de roses.

 

22. La nuit tomba, et s’apaisa le son des luths.

 

23. La tempête survint, et s’apaisa le son des luths.

 

24. L’instant s’enfuit, et s’apaisa le son des luths.

 

25. Mais Tu es Espace et Eternité ; Tu es Matière et Mouvement ; et Tu es la négation de toutes ces choses.

 

26. Car il n’existe aucun Symbole de Toi.

 

27. Si je dis Gravis les montagnes ! les eaux célestes s’écoulent à ces mots. Mais tu es l’Eau par-delà les eaux.

 

28. Le cœur rouge et tri-anglé a été installé dans Ton sanctuaire ; car les prêtres méprisaient également le sanctuaire et le dieu.

 

29. Néanmoins, tout le temps y demeurais-Tu caché, tel le Seigneur du Silence qui est caché dans les boutons du lotus.

 

30. Tu es le crocodile Sebek affrontant Asar ; tu es Mati, le Meurtrier des Profondeurs. Tu es Typhon, le Courroux des Eléments, Ô Toi qui transcendes les Forces en leur Rassemblement et Cohésion, en leur Mort et Rupture. Tu es Python, le terrible serpent qui se trouve au terme de toutes choses !

 

31. Je me retournai trois fois dans toutes les directions ; et toujours parvins-je à Toi pour finir.

 

32. Je contemplai bien des choses médiates et immédiates ; mais, cessant de les contempler, Te contemplai-je.

 

33. Viens, Ô bien-aimé, Ô Seigneur Dieu de l’Univers, Ô Immense, Ô Infime ! Je suis Ton bien-aimé.

 

34. Tout le jour je chante Tes délices ; toute la nuit je me délecte de Ton chant.

 

35. Il n’est pas d’autre jour ou d’autre nuit.

 

36. Tu es au-delà du jour et de la nuit ; je suis Toi-Même, Ô mon Créateur, mon Maître, mon Epoux !

 

37. Je suis tel le petit chien rouge assis sur les genoux de l’Inconnu.

 

38. Tu m’as plongé dans de grandes délices. Tu m’as donné de Ta chair à manger et de Ton sang comme une offrande d’ivresse.

 

39. Tu as planté les crochets de l’Eternité dans mon âme, et le Venin de l’Infini m’a entièrement consumé.

 

40. Je suis devenu tel un alléchant diable d’Italie ; une belle et vigoureuse femme aux joues usées, rongées par la soif de baisers. Elle a fait la courtisane dans divers palais ; elle a livré son corps aux bêtes.

 

41. Elle a tué ses parents et alliés grâce au puissant venin des crapauds ; elle a été flagellée par de nombreuses verges.

 

42. Elle a été démembrée sur la Roue ; les mains du bourreau l’y ont liée.

 

43. Les sources d’eau ont été lâchées sur elle ; elle s’est débattue contre un tourment excessif.

 

44. Elle s’est rompue en deux sous le poids des eaux ; elle a sombré dans l’effroyable Mer.

 

45. Et moi de même, Ô Adonaï, mon seigneur, et semblables sont les eaux de Ton intolérable Essence.

 

46. Et moi de même, Ô Adonaï, mon bien-aimé, et Tu m’as totalement rompu en morceaux.

 

47. Je suis répandu comme du sang versé sur les montagnes ; les Corbeaux de la Dispersion m’ont emporté dans le lointain.

 

48. Il est donc défait le sceau qui gardait le Huitième abîme ; et donc la vaste mer est-elle comme un voile ; et il y a donc rupture en morceaux de toutes choses.

 

49. Oui, et en vérité Tu es aussi l’eau fraîche et dormante de la fontaine du sorcier. Je me suis baigné en Toi et me suis perdu dans Ton calme.

 

50. Ce qui y pénétra tel un vaillant garçon aux membres magnifiques en ressortit telle une vierge, telle une petite enfant pour ce qui est de la perfection.

 

51. Ô Toi lumière et délices, ravis-moi au loin dans l’océan lacté des étoiles !

 

52. Ô Toi Fils d’une mère transcendant la lumière, béni soit Ton nom, et le Nom de Ton Nom, au travers des siècles !

 

53. Vois ! Je suis un papillon à la Source de la Création ; laisse-moi mourir avant l’heure, tombant mort dans Tes flots infinis !

 

54. Et aussi les flots des étoiles s’écoulent toujours majestueux jusqu’à la Demeure ; emportez-moi au loin jusque sur le Sein de Nuit !

 

55. Il s’agit du monde des eaux de Maïm ; il s’agit de l’eau amère qui devient douce. Tu es magnifique et amer, Ô doré, Ô mon Seigneur Adonaï, Ô toi Abîme de Saphir !

 

56. Je Te suis, et les eaux de la Mort me combattent ardemment. Je gagne les Eaux par-delà la Mort comme par-delà la Vie.

 

57. Comment répondrai-je à l’insensé ? En aucun cas ne parviendra-t-il à l’Identité de Toi !

 

58. Mais je suis le Fou qui ne tient pas compte du Jeu du Magicien. Moi, la Femme des Mystères m’instruit-elle en vain ; car j’ai brisé les fers de l’Amour et de la Puissance et de l’Adoration.

 

59. Et donc l’Aigle est fait un avec l’Homme, et le gibet de l’infamie danse avec le fruit du juste.

 

60. J’ai plongé, Ô mon aimé, dans les eaux noires et luisantes, et T’en ai ramené telle une noire perle infiniment précieuse.

 

61. Je suis descendu, Ô mon Dieu, dans l’abîme du tout, et je T’y ai trouvé en son milieu sous l’apparence de Nulle Chose (1).

 

62. Mais comme Tu es le Dernier, Tu es également le Prochain, et c’est comme le Prochain que je Te révèle à la multitude.

 

63. Ceux qui toujours T’ont désiré T’obtiendront, même à la Fin de leur Désir.

 

64. Glorieux, glorieux, glorieux es-Tu, Ô mon amant supernel, Ô Moi de moi-même.

 

65. Car je T’ai pareillement trouvé dans le Moi et le Toi ; il n’y a aucune différence, Ô mon splendide, mon désirable ! Dans l’Un et le Multiple T’ai-je trouvé ; oui, T’ai-je trouvé.

 

 

 

***

 

 

IV

 

 

 

 

1. Ô cœur de cristal ! Moi le serpent T’étreins ; je renfonce ma tête dans le cœur central de Toi, Ô mon bien-aimé Dieu.

 

2. De même que sur les hauteurs de Mitylène, bruyamment battues des vents, quelque divine femme de la lyre se défait, elle dont la chevelure est embrasée telle une auréole, elle qui plonge dans le cœur humide de la création, ainsi je fais, Ô Seigneur Dieu!

 

3. Il est une indicible beauté en ce cœur de corruption, où embrasées sont les fleurs.

 

4. Ah, moi ! c’est que la soif de Ta joie assèche ce gosier, de sorte que je ne puis chanter.

 

5. De ma langue me ferai-je une petite embarcation, et j’explorerai les fleuves inconnus. Il se pourrait que l’éternel sel douceur devienne, et que ma vie cesse d’être altérée.

 

6. Ô vous qui buvez de la saumure de votre désir, vous êtes proches de la folie ! Votre tourment augmente comme vous buvez, et pourtant vous ne cessez de boire. Venez jusqu’à l’eau fraîche, remontant les ruisseaux ; je vous attendrai, avec mes baisers.

 

7. Tel le caillou bézoard que l’on trouve dans la panse de la vache, voici ce qu’est mon amant au milieu des amants.

 

8. Ô garçon de miel ! Amène ici la fraîcheur de Tes membres ! Asseyons-nous quelque temps dans le verger, jusqu’à ce que le soleil se couche ! Festoyons dans l’herbe fraîche ! Apportez du vin, vous esclaves, que rougissent les joues de mon garçon.

 

9. Dans le jardin d’immortels baisers, Ô toi qui brilles, sois éclatant ! Fais de Ta bouche un pavot somnifère, qu’un seul baiser soit clé du sommeil infini et lucide, le sommeil de Shi-loh-am.

 

10. En mon sommeil vis-je l’Univers comme un clair cristal exempt de tout défaut.

 

11. Il y a des miséreux fiers de leur argent qui se tiennent à la porte de la taverne et jacassent au sujet de leurs exploits en matière de boisson.

 

12. Il y a des miséreux fiers de leur argent qui se tiennent à la porte de la taverne et injurient les convives.

 

13. Les convives folâtrant dans le jardin sur des couches de nacre ; le tapage des sots ne parvient point jusqu’à eux.

 

14. Seul le tavernier craint que la faveur du roi ne lui soit retirée.

 

15. Ainsi parlait le Magister V.V.V.V.V. à son Dieu Adonaï, comme ils jouaient ensemble à la lumière des étoiles au-dessus et tout contre la noire et profonde mare qui se trouve dans le Lieu Saint de la Sainte Demeure au-dessous de l’Autel du Plus Saint.

 

16. Mais Adonaï rit, et joua de manière plus langoureuse encore.

 

17. Le scribe en prit alors note, et en fut heureux. Mais Adonaï ne craignait aucunement le Magicien et son jeu.

                Car c’est Adonaï qui avait enseigné au Magicien tous ses tours.

 

18. Et le Magister entra dans le jeu du Magicien. Il riait lorsque le Magicien riait ; tout comme un homme ferait.

 

19. Et Adonaï dit : Tu es prisonnier de la toile du Magicien. Cela, Il dit subtilement, afin de l’éprouver.

 

20. Mais le Magister donna le signe de la Maîtrise, et rit à son tour de Lui : Ô Seigneur, Ô bien-aimé, ces doigts relâchèrent-ils leur prise sur Tes boucles, ou ces yeux se détournèrent-ils de Ton regard ?

 

21. Et Adonaï de lui se délecta à l’extrême.

 

22. Oui, Ô mon maître, tu es le bien-aimé du Bien-Aimé ; l’oiseau Bennou n’est pas en vain érigé à Philae.

 

23. Moi qui fus la prêtresse d’Hâthor me réjouis de ton amour. Surgis, Ô Dieu du Nil, et dévore le lieu saint de la Vache des Cieux ! Que tout le lait des étoiles soit bu par Sebek l’Habitant du Nil !

 

24. Surgis, Ô serpent Apep, Tu es Adonaï le bien-aimé ! Tu es mon chéri et mon maître, et Ton venin est plus doux que les baisers d’Isis la mère des Dieux !

 

25. Car Tu es Il ! Oui, Tu avaleras Asi et Asar, et les enfants de Ptah. Tu répandras un déluge de poison afin de détruire les œuvres du Magicien. Le Destructeur seul Te détruira ; Tu noirciras sa gorge, en laquelle demeure son esprit. Ah, serpent Apep, mais je T’aime !

 

26. Mon Dieu ! Que Ta secrète dent à venin perce la moelle du petit os secret que j’ai gardé en prévision du Jour de la Vengeance de Hoor-Râ. Que Kheph-Râ fasse retentir le bourdonnement de ses élytres ! que les chacals du Jour et de la Nuit hurlent dans le désert du Temps ! Que chancellent les Tours de l’Univers, et que les gardiens se hâtent de fuir ! Car mon Seigneur S’est révélé comme un puissant serpent, et mon cœur est le sang de Son corps.

 

27. Je suis telle une courtisane de Corinthe qui languit d’amour. J’ai joué avec rois et capitaines, et en fis mes esclaves. Je suis aujourd’hui l’esclave du petit aspic de la mort ; et qui défera notre amour ?

 

28. Las, las ! dit le scribe, qui m’offrira le spectacle du Ravissement de mon maître ?

 

29. Le corps est las et l’âme est cruellement lasse et le sommeil accable leurs paupières ; quoique toujours demeure la sûre conscience de l’extase, inconnue, et toutefois connue en cela que son existence est certaine. Ô Seigneur, sois mon aide, et conduis-moi à la béatitude du Bien-Aimé !

 

30. J’arrivai à la demeure du Bien-Aimé, et le vin était comme du feu doté d’ailes vertes volant de par l’étendue des eaux.

 

31. Je sentis les rouges lèvres de nature et les noires lèvres de perfection. Telles deux sœurs elles me câlinèrent, moi, leur petit frère ; elles me parèrent telle une fiancée ; elles me mirent en scène pour Ta chambre nuptiale.

 

32. Elles s’enfuirent à Ton approche ; j’étais seul devant Toi.

 

33. Je tremblai à Ton approche, Ô mon Dieu, car Ton messager était plus terrible que l’Etoile de la Mort.

 

34. Sur le seuil se tenait la fulminante figure du Mal, l’Horreur du vide, dont les yeux horribles étaient comme deux puits empoisonnés. Il était là, et la chambre fut viciée ; l’atmosphère empestait. Il s’agissait d’un poisson vieux et difforme, plus hideux que les coques d’Abaddon.

 

35. Il m’enveloppa de ses tentacules de démon ; oui, les huit terreurs s’emparèrent de moi.

 

36. Mais j’étais oint de la douce et adéquate huile du Magister ; je glissai hors de l’étreinte telle une pierre quittant la fronde d’un garçon des bois.

 

37. J’étais lisse et dur comme l’ivoire ; l’horreur n’eut pas prise. Puis, au son du vent de Ton approche il fut dissous, et l’abîme du grand vide fut déployé devant moi.

 

38. Sur la mer sans vagues de l’éternité voguais-Tu, avec Tes capitaines et Tes armées ; avec Tes chars et Tes cavaliers et Tes lanciers voyageais-Tu de par le bleu.

 

39. Avant que je ne Te vois, Tu étais déjà avec moi ; je fus transpercé par Ta merveilleuse lance.

 

40. Tel un oiseau fus-je frappé par la foudre du maître du tonnerre ; je fus transpercé comme le voleur par le Seigneur du Jardin.

 

41. Ô mon Seigneur, naviguons sur la mer de sang !

 

42. Il y a une profonde souillure dessous l’ineffable félicité ; c’est la souillure de la génération.

 

43. Oui, bien que la fleur ondoie lumineuse au soleil, la racine est profonde dans les ténèbres de la terre.

 

44. Gloire à toi, Ô splendide terre noire, tu es la mère d’un million de myriades de myriades de fleurs.

 

45. Aussi contemplai-je mon Dieu, et l’expression de Son visage était mille fois plus radieuse que l’éclair. Néanmoins vis-je en son cœur le lent et sombre, l’ancien, le dévoreur de Ses enfants.

 

46. Dans les hauteurs comme dans l’abîme, Ô mon splendide, il n’y a rien, en vérité, il n’y a rien du tout, qui ne soit entièrement et parfaitement façonné pour Ton plaisir.

 

47. La Lumière est fidèle à la Lumière, et l’ordure à l’ordure ; elles se méprisent fièrement l’une l’autre. Mais pas Toi, qui est tout, et au-delà ; qui est absous de la Division des Ombres.

 

48. Ô jour de l’Eternité, que Ta vague se brise en une splendeur de saphir sans écume sur le laborieux corail de notre création !

 

49. Nous nous sommes fait un anneau de sable blanc et scintillant, sagement répandu au beau milieu de l’Océan Charmeur.

 

50. Que fleurissent sur notre île les palmiers de brillance ; nous mangerons de leur fruit, et serons heureux.

 

51. Mais à moi l’eau lustrale, la grande ablution, la dissolution de l’âme dans cet abîme retentissant.

 

52. J’ai un petit garçon semblable à un bouc lascif ; ma fille est tel un aiglon sans plumes ; ils se procureront des nageoires – afin de pouvoir nager.

 

53. Afin de pouvoir nager, Ô mon bien-aimé, nager loin dans le miel chaud de Ton être, Ô bienheureux, Ô garçon de béatitude !

 

54. Autour de ce cœur mien est lové le serpent qui dévore ses propres anneaux.

 

55. Quand y-aura-t-il une fin, Ô mon aimé, Ô quand l’Univers et son Seigneur seront-ils totalement dévorés ?

 

56. Non ! qui dévorera l’Infini ? qui réparera l’Erreur Originelle ?

 

57. Tu cries tel un chat blanc sur le toit de l’Univers ; personne pour Te répondre.

 

58. Tu es tel un solitaire pilier au milieu de la mer ; il n’y a personne pour Te contempler, Ô Toi qui tout contemple !

 

59. Tu faiblis, tu échoues, toi scribe ; s’écria la Voix de désolation ; mais je t’ai servi un vin dont tu ignorais la saveur.

 

60. Il servira à enivrer les gens de la vieille sphère grise qui tourne dans l’infini Lointain ; ils laperont le vin tels des chiens lapant le sang d’une splendide courtisane transpercée par la Lance d’un prompt cavalier traversant la cité.

 

61. Je suis également l’Ame du désert ; tu me chercheras néanmoins là encore dans le désert de sable.

 

62. A ta droite un grand seigneur, bienséant ; à ta gauche une femme de tulle et d’or vêtue, avec les étoiles dans sa chevelure. Vous voyagerez au loin dans une contrée maléfique et pestilentielle ; vous camperez dans la rivière d’une folle cité disparue ; là Me rencontrerez-vous.

 

63. Là établirai-je Ma demeure ; et pour la fête nuptiale y viendrai-je oint et paré ; là la Consommation aura-t-elle lieu.

 

64. Ô mon aimé, j’attends également la brillance de l’heure ineffable, lorsque l’univers sera telle une ceinture pour le milieu du rayon de notre amour, se prolongeant par-delà la fin permise de Celui sans fin.

 

65. Alors, Ô toi cœur, moi le serpent te dévorerai-je entièrement ; oui, te dévorerai-je entièrement.

 

 

 

 

***

 

 

V

 

 

 

 

 

1. Ah ! mon Seigneur Adonaï, qui badine avec le Magister dans le Trésor de Perles, laisse-moi écouter l’écho de tes baisers.

 

2. Le ciel étoilé ne tremble-t-il point comme une feuille à la frémissante extase de ton amour ? Ne suis-je point cette étincelle de lumière qui vole, si vite emportée par le grand vent de ta perfection ?

 

3. Oui, s’écria l’Etre de Sainteté, et à partir de Ton étincelle, moi, le Seigneur, allumerai-je un grand feu ; j’incendierai de part en part la morne cité sise dans la vieille contrée dévastée ; je la laverai de sa grande impureté.

 

4. Et toi, Ô prophète, tu verras ces créatures, et tu n’en tiendras aucun compte.

 

5. Le Pilier est maintenant édifié dans le Vide ; Asi est maintenant comblée d’Asar ; Hoor est maintenant descendu dans l’Ame Animale des Créatures telle une ardente étoile sombrant dans les ténèbres de la terre.

 

6. Durant la minuit es-tu descendu, Ô mon enfant, mon conquérant, mon capitaine ceint de l’épée, Ô Hoor ! et ils te découvriront comme une noire pierre, noueuse et étincelante, et ils t’adoreront.

 

7. Mon prophète prophétisera à ton sujet ; les vierges danseront autour de toi, et elles donneront naissance à de gais bambins. Tu inspireras aux fiers un orgueil infini, et aux humbles une extase d’avilissement ; tout ceci transcendera le Connu et l’Inconnu avec un tant soit peut d’innommable. Car c’est comme l’abîme de l’Arcane qui est ouvert dans le Lieu secret du Silence.

 

8. Tu es venu ici, Ô mon prophète, par de graves sentiers. Tu as mangé de la fiente des Etres Abominables ; tu t’es prosterné devant le Bouc et le Crocodile ; les méchants firent de toi un jouet ; tu as erré telle une courtisane maquillée, parfumée, au teint de Chinoise, de par les rues ; les gouffres de tes yeux as-tu assombris de Khôl ; tes lèvres as-tu colorées de vermillon ; tes joues as-tu enduites de vernis couleur ivoire. Tu as joué la débauchée à chaque porte et dans tout chemin détourné de la grande cité. Les hommes de la cité t’ont désirée, pour abuser de toi et te battre. Ils ont dévoré les paillettes d’or, la belle poussière dont tu parais ta chevelure ; ils ont flagellé de leurs fouets ta chair maquillée ; tu as enduré des choses indicibles.

 

9. Mais j’ai brûlé en toi telle une pure flamme – sans huile. A la minuit j’étais plus brillant que la lune ; de jour je surpassais radicalement le soleil ; je flambais dans les chemins détournés de ton être, et dissipais l’illusion.

 

10. En conséquence es-tu totalement pur devant Moi ; par conséquent es-tu Ma vierge pour l’éternité.

 

11. En conséquence t’aimé-je d’un amour sans égal ; par conséquent ceux qui te méprisent t’adoreront.

 

12. Tu seras aimable et compatissant à leur égard ; tu les guériras de l’indicible mal.

 

13. Ils se transformeront en leur destruction, telles deux sombres étoiles entrant en collision dans l’abîme, et engendrant un infini brasier.

 

14. Tout cela tandis qu’Adonaï transperçait mon être de son épée à quatre lames ; la lame du coup de foudre, la lame du Pylône, la lame du serpent, la lame du Phallus.

 

15. Il m’enseigna également l’indicible et saint mot Ararita, de sorte que je fondis l’or sextuple en un point unique et invisible, dont rien ne peut être dit.

 

16. Car la maîtrise de cet Opus est une secrète maîtrise et le signe de qui en est le maître est une certaine bague de lapis-lazuli portant le nom de mon maître, à savoir moi, et l’Oeil en son Milieu.

 

17. Aussi il parla et dit : Il s’agit d’un signe secret que tu ne dévoileras point au profane, ni au néophyte, ni au zelator, ni au practicus, ni au philosophus, ni à l’adepte inférieur, ni à l’adepte supérieur.

 

18. Mais à l’adepte exempt tu te pourras ouvrir si tu as besoin de lui pour les opérations moindres de ton art.

 

19. Accepte l’adoration des imbéciles que tu hais. Le Feu n’est point souillé par les autels des Guèbres, ni la Lune viciée par l’encens de ceux qui adorent la Reine de la Nuit.

 

20. Tu demeures au milieu du peuple tel un précieux diamant parmi des diamants vitreux, des cristaux et des morceaux de verre. L’œil du négociant averti seul te voit, sa main fond sur toi, il te choisit et te célèbre devant les hommes.

 

21. Mais tu ne prendras garde à rien de cela. Tu seras toujours le cœur, et moi le serpent me loverai-je étroitement autour de toi. Mes anneaux, de tous les éons, jamais ne se relâcheront. Ni le changement, ni la tristesse, ni l’insubstantialité (2) n’ont prise sur toi ; car tu es passé au-delà d’eux tous.

 

22. De même que le diamant luira rouge pour la rose, et vert pour la feuille de rose ; ainsi dois-tu te tenir à l’écart des Impressions (3).

 

23. Je suis toi, et le Pilier est édifié dans le vide.

 

24. Aussi es-tu au-delà des stabilités de l’Etre et de la Conscience et de la Béatitude ; car toi suis-je, et le Pilier est édifié dans le vide.

 

25. Aussi t’entretiendras-tu de ces choses avec l’homme qui les rédige, et il s’en approchera comme d’un sacrement ; car moi qui suis toi suis lui, et le Pilier est édifié dans le vide.

 

26. De la Couronne à l’Abîme, il s’étend unique et érigé. Aussi la sphère illimitée rayonnera-t-elle de son éclat.

 

27. Tu te réjouiras dans les mares d’eau adorable ; tu pareras tes damoiselles de perles de fécondité ; tu engendreras des flammes comme langues lapant la liqueur des Dieux entre les mares.

 

28. Tu convertiras également la toute-impétuosité de l’air en vents d’eau claire, tu transmueras la terre en un bleu abîme de vin.

 

29. Rouges les lueurs de rubis et d’or qui y étincellent ; une goutte en enivrera le Seigneur des Dieux mon serviteur.

 

30. Aussi Adonaï parla à V.V.V.V.V., disant : Ô mon petit, mon tendre, mon petit amoureux, ma gazelle, mon beau, mon garçon, comblons le pilier de l’Infini d’un infini baiser !

 

31. De sorte que le stable fut ébranlé et que l’instable devint calme.

 

32. Ceux qui le virent hurlèrent d’un redoutable effroi : La fin des choses fond sur nous.

 

33. Et c’était précisément cela.

 

34. Aussi étais-je dans la vision de l’esprit et vis un faste parricide d’athées, couplés deux par deux dans l’extase supernelle des étoiles. Ils rirent et se réjouirent à l’extrême, vêtus de robes pourpres et ivres de vin pourpre, et toute leur âme était une seule flamme-fleur de sainteté.

 

35. Ils ne virent pas Dieu ; ils ne virent point l’Image de Dieu ; et pour cela s’étaient-ils élevés jusqu’au Palais de l’Ineffable Splendeur. Une épée affilée s’abattit devant eux, et le ver Espoir se tordit à leurs pieds en sa mortelle agonie.

 

36. De même que leur extase partagea en morceaux l’Espoir visible, l’Invisible Peur s’enfuit au loin et cessa d’être.

 

37. Ô vous qui êtes par-delà Aormuzdi et Ahrimanes ! bénis êtes-vous pour les siècles des siècles.

 

38. Ils façonnèrent le Doute en forme de faucille, et moissonnèrent les fleurs de la Foi pour leurs guirlandes.

 

39. Ils façonnèrent l’Extase en forme de lance, et transpercèrent l’antique dragon qui siège sur l’eau stagnante.

 

40. Alors les sources fraîches furent-elles descellées, afin que le peuple altéré se puisse trouver à l’aise.

 

41. Et à nouveau fus-je absorbé en la présence de mon Seigneur Adonaï, et la connaissance et Conversation de Celui qui est Saint, de l’Ange qui me Garde.

 

42. Ô Saint et Exalté, Ô Moi par-delà moi, Ô Image Autolumineuse de l’Inconcevable Néant, Ô mon aimé, mon splendide, viens-T’en et suis-moi.

 

43. Adonaï, divin Adonaï, qu’Adonaï instaure le resplendissant badinage ! Ainsi cachai-je le Nom de Son nom à elle qui m’inspira mon extase, dont la corporelle senteur désoriente l’âme, dont la lumière de l’âme ravale ce corps jusque parmi les bêtes.

 

44. Par mes lèvres ai-je aspiré le sang ; j’ai vidé Sa beauté de sa subsistance ; je L’ai humiliée devant moi, je L’ai domptée, je L’ai possédée, et Sa vie est dedans moi. Avec Son sang inscrivé-je les secrètes énigmes du Sphinx des Dieux, que nul ne comprendra – à l’unique exception du pur et voluptueux, du chaste et obscène, de l’androgyne et du gynandre ayant passés outre les barreaux de la prison que l’antique Limon de Khem érigea aux Portes de l’Amennti.

 

45. Ô mon adorable, mon délicieux, toute la nuit verserai-je la libation sur Tes autels ; toute la nuit brûlerai-je le sacrifice de sang ; toute la nuit balancerai-je devant Toi l’encensoir de ma joie, et la ferveur de mes oraisons enivrera Tes narines.

 

46. Ô Toi qui vins de la contrée de l’Eléphant, ceint de la peau de tigre, et enguirlandé des lotus de l’esprit, Tu grises mon existence de Ta folie, et ainsi bondit-Elle à mon passage.

 

47. Intime à Tes vierges qui T’escortent de nous parsemer un lit de fleurs immortelles, afin que nous y puissions prendre notre plaisir. Intime à Tes satyres d’amonceler des épines parmi les fleurs, afin que nous y puissions prendre notre souffrance. Que plaisir et souffrance se confondent en une suprême offrande au Seigneur Adonaï !

 

48. Aussi entendis-je la voix d’Adonaï le Seigneur le désirable au sujet de ce qui se trouve au-delà.

 

49. Que les habitants de Thèbes et de ses temples jamais ne jasent quant aux Colonnes d’Hercule et à l’Océan de l’Ouest. Le Nil n’est-il point une eau magnifique ?

 

50. Que le prêtre d’Isis ne dévoile point la nudité de Nuit, car chaque étape est une mort et une naissance. Le prêtre d’Isis souleva le voile d’Isis, et fut occis par les baisers de sa bouche. Alors fut-il le prêtre de Nuit, et but-il du lait des étoiles.

 

51. Que la douleur et l’échec ne détournent point les fidèles. Les fondements de la pyramide furent creusés dans la roche vivante avant le coucher du soleil ; le roi pleura-t-il à l’aube parce que la couronne de la pyramide n’avait pas encore été extraite de la lointaine contrée ?

 

52. Il y avait aussi un oiseau-mouche qui parlait au céraste cornu, et le priait pour avoir du poison. Et le grand serpent de Khem, le Saint, le serpent royal Uraeus, lui répondit par ces mots :

 

53. J’ai navigué sur le ciel de Nu dans le char nommé Millions-d’Années, et jamais ne vis-je sur Geb une créature égale à moi. Le venin de mon crochet est l’héritage de mon père, et du père de mon père ; et comment te le pourrais-je transmettre ? Que toi et tes enfants vivent comme moi et mes pères avons vécu, pareillement durant une centaine de millions de générations, et il se pourrait que la miséricorde des Puissants octroie à tes enfants une goutte de cet antique poison.

 

54. L’esprit de l’oiseau-mouche en fut affligé, et il s’enfuit en direction des fleurs, et ce fut comme si rien n’avait été dit entre eux. Cependant, peu après, un serpent le mordit et il mourut.

 

55. Mais un Ibis qui méditait au bord du Nil écouta et entendit le dieu magnifique. Et il se dépouilla de ses manières d’Ibis, et devint tel un serpent, disant Peut-être qu’une centaine de millions de millions de générations de mes enfants plus tard, ceux-ci obtiendront-ils une goutte du poison du crochet de l’Exalté.

 

56. Et vois ! avant que la lune trois fois ne croisse il devint serpent Uraeus, et le poison du crochet fut instauré en lui et sa descendance pareillement pour toujours et à jamais.

 

57. Ô toi Serpent Apep, mon Seigneur Adonaï, c’est un atome du temps le plus infime, ce voyage au travers de l’éternité, et à Tes yeux les points de repère sont d’immaculé marbre blanc épargné par l’instrument du tailleur. Et donc Tu es mien, dès maintenant et pour toujours et pour l’éternité. Amen.

 

58. En outre, j’entendis la voix d’Adonaï : Scelle le livre du Cœur et du Serpent ; par le nombre cinq et soixante scelles-tu le saint livre.

                Tel l’or fin battu pour le diadème destiné à la belle reine de Pharaon, telles de grandes pierres ensemble cimentées dans la Pyramide de la cérémonie de la Mort d’Asar, ainsi allieras-tu les paroles et les œuvres, afin qu’en tout il y ait une Pensée de Moi ton délice Adonaï.

 

59. Et je répondis par ces mots : Cela est fait en pleine conformité à Ta parole. Et c’était fait. Et ceux qui lirent le livre et en débattirent passèrent dans la déserte contrée des Paroles Stériles. Et ceux qui scellèrent le livre dans leur sang furent les élus d’Adonaï, et la Pensée d’Adonaï était une Parole et une Œuvre ; et ils demeurent dans la Contrée que les grands voyageurs nomment Néant.

 

60. Ô contrée par-delà le miel et l’épice et toute perfection ! J’y habiterai pour toujours aux côtés de mon Seigneur.

 

61. Et le Seigneur Adonaï de moi se délecte, et j’apporte la Coupe de Son allégresse aux accablés de la vieille et morne contrée.

 

62. Ceux qui en boivent sont frappés de maladie ; l’abomination a prise sur eux, et leur tourment est telle l’épaisse et noire fumée de la funeste demeure.

 

63. Mais les élus en burent, et devinrent comme mon Seigneur, mon splendide, mon désirable. Il n’est pas de vin semblable à ce vin.

 

64. Ils sont ensemble réunis dans un cœur embrasé, tel Râ qui rassembla au soir ses nuées autour de Lui en une mer de joie en fusion ; et le serpent qui est la couronne de Râ les lia en gerbe par la ceinture dorée des baisers de mort.

 

65. Telle est aussi la fin du livre, et le Seigneur Adonaï l’entoure de toutes parts comme un Coup de Foudre, et comme un Pylône, et comme un Serpent, et comme un Phallus, et en leur milieu Il est telle la Femme qui fait gicler de ses mamelons le lait des étoiles ; oui, de ses mamelons le lait des étoiles.